Le Cosmos d’Oxmo Puccino

First published in Villa Schweppes, October 2015.

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Oxmo Puccino, la légende. Le meilleur rappeur français (on lui a demandé), revient avec un huitième album et nous surprend encore une fois par son honnêteté et ses angles d'attaque épatants.

C'est à l'Hôtel Providence (dont on vous a parlé ici), qu'on retrouve le légendaire Black Desperado, en plein milieu de son après-midi promo. L'un des plus grands compositeurs qu'ait pu connaitre la musique francophone doit nous retrouver pour nous parler de son prochain album, La Voix Lactée, prévu pour le 13 novembre prochain. Au printemps (le 30 mars 2016 pour être exact), il sera d'ailleurs à l'Olympia, où il distribuera rimes et jeux de mots à un public toujours plus large, et toujours plus conquis à chaque fois par sa poésie et son rap mature et pourtant plein d'innocence. Pour son huitième album, Oxmo Puccino vole encore une fois au secours du rap, dans une galaxie peuplée de renégats à la tribune haute et au verbe facile.


Villa Schweppes : Te considères-tu comme le meilleur rappeur français ?

Oxmo Puccino : Oui. Comme l'un des meilleurs sans aucun doute.


Il y en a des autres qui peuvent mériter ce titre, d'après toi ?

On est beaucoup, et heureusement. Le meilleur rappeur, c'est celui qui fédère son public. Tu ne peux pas être aimé d'absolument tout le monde. Si tu demandes à chaque rappeur : Gims, Booba, Orelsan, Jul, MMZ... tous te répondront la même chose, à raison. Avant on ne pouvait pas donner autant de noms…


Tu trouves ça juste d'être comparé aux autres rappeurs, constamment ?

Je trouve ça dommage. On ne peut pas comparer. Ceux qui font ça réduisent le rap à une idée préconçue. Les gens et les journalistes me comparent parce qu'ils ne connaissent pas, c'est du commerce, ils sont là pour vendre une image ; c'est pour confirmer certaines idées que la masse a en tête.

On ne peut pas traiter le rap à la légère, juste parce qu'on se trompe de conviction.


Justement, ça ne t'a pas fait mal parfois d'être interviewé par des "critiques" qui n'ont ni connaissance du rap, ni même écouté ton oeuvre ?

Ce à quoi tu fais référence date, mais c'est toujours d'actualité. J'étais très mal à l'aise. C'est malheureusement la position du rappeur dans les médias. Il n'arrive pas avec un capital sympathie favorable. Hélas, on est obligés de passer par là pour toucher un public plus large.


Qu'est ce qu'il faudrait pour que les choses changent ?

C'est générationnel. Tous les gens qui étaient réfractaires vont devenir trop vieux, donc après on en aura plus rien à faire de ce qu'ils pensent. Ils partiront avec le temps. Il y a ceux qui comprennent, ceux qui son proches de leurs enfants, et ceux qui sont largués, pour lesquels on ne peut rien. Et on s'en moque, de leurs tribunes. Ils ne changeront rien à l'amour qu'il y a là-dedans. On ne peut pas traiter ce mouvement à la légère, juste parce qu'on se trompe de conviction.


Sur cet album, malgré les influences jazz qu'on retrouve toujours chez toi, on ressent quelque chose de plus intemporel. Comment as-tu produit cet album ?

Je me suis mis à la guitare il y a quelques années, je pratique la basse et maîtrise la boite à rythme ; tout ça m'a permis de pouvoir construire une maquette solide. Le guitariste Eddie Purple m'a beaucoup aidé également. J'ai apporté tout ça à Renaud Letang, et je l'ai laissé faire. Il a sa vision, il sait quelle heure il est. Il se trompe rarement. Je suis arrivé avec quelque chose de mélancolique, avec un peu de mineurs, beaucoup de guitares, de mélodies latines, et il a tout changé : on a maintenant quelque chose de funky, un truc plus moderne.


On la sent encore pas mal, cette mélancolie pourtant.

Oui, mais c'est plus mesuré. On y a fait attention dans la composition.


Production et écriture sont toujours indépendants l'un de l'autre pour toi ?

Je fonctionne toujours comme ça et je passe autant de temps aujourd'hui sur la musique que sur l'écriture. Voire même plus de temps sur la production que sur le texte, réflexion faite.


Comment tu les maries, du coup, ces deux entités ?

Le jour où ils se reconnaissent, la magie opère. Je n'y pense même pas.


Tu n'as pas fait de collaborations sur cet album, pourquoi ?

Je n'ai pas eu le temps, et les parties chantées, grâce à Renaud, j'ai pu les faire seul.

Le rap francophone fait briller la langue française.


Tu es l'une des figures de proue de la scène francophone, à l'international. Quel est la place de la francophonie dans le monde justement ?

Ce que les artistes francophones ont à apporter, c'est une fédération autour d'un courant musical, et d'un peuple francophone qui est pourtant disparate. Tous les gens qui parlent le français, l'ont encore plus apprécié à travers une musique dans laquelle ils se reconnaissent. Je trouve ça formidable. Dans tous les pays francophones aujourd'hui, tu as des groupes de rap, et c'est la France qui mène ce mouvement. C'est beau, que des personnalités soient reconnues pour la langue dans laquelle ces dernières pratiquent leur art. Ca fait briller notre langue.

On pense directement à des gens comme Stromae quand tu dis ça. C'est peut-être lui aujourd'hui le francophone le plus marquant à l'international.

Oui, et c'est important de rappeler qu'il est francophone et non français. S'il était français, il ne serait pas devenu Stromae.


Pourquoi ?

En France ? On l'aurait embrumé. Il a pu garder sa légèreté, sa fraîcheur, mais aussi cette ouverture, sans se cloisonner. Il n'a pas été critiqué au point de changer de cap. On ne s'est pas assez moqué de son costume pour qu'il n'arrête avant de le rendre classe.


Tu y es sensible, à ces critiques, toi ?

Non, parce que ça passe, contrairement à mes chansons. J'ai assez de personnes qui apprécient mon travail pour ne pas donner d'importance aux autres. Ce que je trouve dommage, c'est que les critiques aujourd'hui ne sont plus l'oeuvre d'elles-mêmes, mais de ce qui se dit ici et là, sur internet ou dans les médias.


Ca nous amène à une question qu'on voulait te poser : quelle est aujourd'hui, selon toi, l'influence de cette nébuleuse internet dans l'industrie musicale ?

Si j'avais été jeune aujourd'hui, jamais je n'aurais fait de musique. C'est trop difficile aujourd'hui ! C'est incommensurablement plus dur qu'avant. On n'était pas nombreux, avant. Tout restait à faire. Tu pouvais parler de beurre ou de sacs plastiques, personne n'avait rien fait avant toi. Tu parles de fondamentaux que tu dois dépasser pour te faire entendre. Tout le monde sait bien rapper aujourd'hui, tout le monde a les mêmes références, les mêmes beats, les mêmes outils.


Dans La Voix Lactée, beaucoup de sujets reviennent : la tendresse, l'enfance, la famille, l'amour. On sent de la colère chez toi, sans vraiment d'animosité. C'est très subtil, et ça contraste un peu avec certains de tes morceaux du passé...

Oui, je parle de sujets très durs, frontaux, difficiles, il faut en parler malgré tout. Il faut en parler de façon calme. Il faut que ce soit bien servi. " Un Weekend sur deux ", c'est pour mes proches qui traversent ce moment, comme s'ils ou elles étaient seuls avec les mômes, dans une barque, dans le noir, avec personne à qui parler. C'est très difficile. Si je peux apporter un tout petit peu de lumière à ceux qui en ont besoin, c'est beaucoup pour moi.


" Slow Life " est un morceau qui nous a fait beaucoup rire, on a apprécié et on voulait savoir : c'est l'âge qui t'a fait écrire ce morceau ?

Le temps va en manquant, donc forcément, on est amenés à faire moins de choses. On m'avait prévenu plus jeune, mais j'avais du mal à le réaliser : c'est qu'il faut choisir, tu ne pourras pas tout faire. C'est un entonnoir. A mon âge, t'en as conscience, ça devient forcément plus grave. Les moments que tu chéris deviennent donc encore plus primordiaux.


L'album est d'ailleurs divisé en deux parties : jusqu'à " Ton Rêve ", c'est assez rapide, enjoué, et puis après, s'installe une certaine monotonie, le tout est plus lent. Ca reprend ensuite un autre rythme encore, à partir du morceau : " Le Marteau et la Plume ". C'est volontaire ?

C'est quelque chose qu'on a trouvé à force de recherches. Ca prend énormément de temps, c'est un processus qui nous prend 10 à 15 jours, et c'est le rythme qui sera la plus cohérent, qui rendra l'écoute la plus digeste, qu'on choisit.


On ne peut pas oublier de te parler du morceau " Une Chance ", qui nous a directement fait penser à tes premiers morceaux.

Ce que j'ai remarqué grâce à cet album, en rétrospective avec mes anciens projets, c'est que j'ai passé un cap. Je prends le meilleur de chaque époque, de chaque album, pour faire quelque chose qui me plaira une fois sur scène. Je peux me le permettre à présent : savoir ce que je fais. Je suis tranquille.


Et enfin, le morceau qui nous a intrigué, c'est " 1998 ". Tu as choisi le prisme de la victoire française à la coupe du monde pour aborder un thème important à tes yeux : l'intégration. Qu'est-ce qui t'es venu le premier, le thème ou le prisme ?

C'est le thème : je voulais aborder ce sujet, mais c'est quelque chose de trop lourd que de parler de son pays sans brusquer quiconque. Ce prisme est parfait parce que ceux qui l'ont vécu savent de quoi je parle, ils savent que c'est possible. Ceux qui étaient trop jeunes, savent que ça a existé. Il y a quelque chose d'hystérique, dans cette fierté nationale. C'est important de rappeler qu'on est tous sur le même bateau, quoiqu'on en pense. Ca a été possible en 1998, donc pourquoi pas ?


C'est quelque chose qu'on peut retrouver sans un truc aussi fédérateur que le sport, tu penses ?

Compliqué. Faut savoir où on veut aller, ensemble. Le racisme, c'est une manière de voir les gens qu'on ne connaît pas, de la pire des façons qui soit. Ce n'est du qu'aux médias, à notre éducation et à notre culture. Ma musique est un appel à l'ouverture. Quand j'entends certains "politiques" avoir des propos outranciers, j'ai de la peine pour eux. Ça révèle une ignorance qui leur sera fatale. Ils subiront le métissage... (rires)